Le Crépuscule tiède
par Susanne Daumann
ERL, 16 juillet 2023 - Après Siegfried, voici donc l’épisode final du cycle de L’Anneau du Nibelung avec la mise en scène de Brigitte Fassabender et la direction musicale de Erik Nielsen. De nouveau, nous sommes dans le théâtre qui abrite les Jeux de la Passion du Christ, où l’absence de fosse d’orchestre et de mécanismes scéniques ne facilite pas le travail de l’équipe de mise en scène.La scène est noire et quasiment nue, parfois agrémentée par des balcons et des escaliers, c’est à peine si quelques meubles et accessoires indiquent le lieu et la situation de la scène.
Tout le premier acte, avec ses rétrospectives et la mise en place des intrigues à venir, est raconté de manière fort lente et redondante par Wagner, et la mise en scène et l’interprétation musicale ne font rien pour ajouter un peu de punch à la narration. Certes, il y a quelques idées divertissantes, quelques gags : les Nornes sont trois jeunes femmes hautes en couleurs, qui tricotent autour d’une table de café; Siegfried, toujours aussi débonnaire et naïf, laisse tomber son épée sur la table de billard de Gunther, et celui-ci se précipite sur la précieuse feutrine pour voir si elle a été endommagé. Cela ne suffit pas pour combler le vide. Vincent Wolfsteiner, qui était assez crédible dans Siegfried comme fils rebelle et jeune homme en quête de sa vie, l’est moins ce soir en tant qu’un héros accompli. C’est un homme dans la force de l’âge, plutôt bien portant, un peu balourd, ce qui le rend presque comique. Son Siegfried est sympathique, un peu naïf, un peu crédule, mais ce n’est pas un héros glorieux et sexy dont une princesse comme Gutrune tomberait amoureuse à première vue. Une scène noire et vide avec une scénographie minimaliste, un contenu assez lourd et lent, et une direction d’orchestre qui traîne parfois - ce premier acte reste sans conviction et ne nous enchante pas. C’est Robert Pomakov, interprète du vil Hagen, avec une présence scénique considérable et une voix de basse puissante, qui sauve la mise.
L’Acte II est plus vivant : le jeu d’intrigues de Hagen nous entraîne peu à peu. Gunther apparaît de plus en plus comme la victime la plus tragique, Manuel Walser, avec son baryton lyrique et mélodieux, l’interprète de manière touchante. Il est grimé tout en blanc, et de surcroît blanc de cheveux, son propre spectre, si on veut. Gutrune (Irina Simmes ) est un personnage peu défini dans l’œuvre de Wagner, elle n’est qu’un pion de plus dans le jeu de Hagen. Christiane Libor dans le rôle de Brünnhilde, est forte et convaincante ici.
L’Acte III, hélas, perd de nouveau son entrain. Les filles du Rhin apparaissent comme des joueuses de water-polo, et leur chant évoque bel et bien des balles et des bulles. La scène du meurtre de Siegfried, la mort de celui-ci, tout cela sonne fort joliment, mais ne trouve pas de résonance chez le public. Même le bûcher, qui est un petit feu de théâtre, et le chant final de Brünnhilde restent tièdes, à peine tièdes : c’est la fin d’un monde, c’est la fin du règne des dieux qu’on croyait pourtant éternels, le monde devrait s’écrouler autour de Brünnhilde comme les montagnes s’écroulent pas loin d’ici et qu’on croyait pourtant éternelles. Mais nous restons assis tranquillement, à écouter Brünnhilde et rien ne se passe. C’est beau, c’est fort, mais le sentiment d’urgence et de drame ne passe tout simplement pas.
La journée a été lourde et grise : espérons que les prochaines représentations bénéficient d’un temps plus clair et seront plus énergiques.